• L’exil de l’esprit

     

     Par Gabrielle Gendron

     

    Montparnasse a su éveiller les esprits artistiques et sa constante effervescence aura attiré de nombreux intellectuels et artistes, surtout pendant les années vingt. Ce quartier des plus colorés a attiré, au début du 20e siècle, le regard d’une grande écrivaine féministe américaine, Gertrude Stein. Stein débarque à Paris en 1904. Collectionneuse d’œuvres d’art, elle défend ardemment l’art moderne. Son intérêt se fixe alors pour les cubistes, déjà bien installés dans l’art parisien, ainsi que Picasso. Elle devient rapidement importante pour la nouvelle génération parisienne. Son cercle de connaissances se constitue des plus grands connaisseurs, des collectionneurs, des artistes et des intellectuels de l’époque.  Stein devient alors le pilier central de cette nouvelle génération artistique. Elle reçoit chez elle la clique artistique de Montparnasse et en particulier les expatriés américains. De par ces regroupements se forment des cercles d’intellectuels, d’artistes, de chanteurs, de poètes et d’écrivains qui sont venus s’imposer à Paris en tant que nouvelle génération prônant le moderniste. 

    Gertrude Stein créa alors ce qu’on appela la Lost Génération. Ce terme désigne un courant littéraire ainsi qu’artistique de l’entre-deux-guerres qui fut propagé entre autres par les auteurs américains vivant à Paris. Tous ont écrit à propos de leur Amérique en changement, de sa déliquescence suite aux bouleversements sociaux de la Première Guerre mondiale. Cette Lost Génération comptait sur ses bancs de très grands écrivains dont  John Steinbeck, Dos Passos, F. Scott Fitzgerald, Ezra Pound, Sherwood Anderson, Waldo Peirce, Sylvia Beach, T.S. Eliot et Gertrude Stein. Celui qui fut le plus emblématique de ce mouvement fut Ernest Hemingway. Célèbre écrivain américain qui, en 1921, devint correspondant étranger pour le Toronto Star, il s’installa à Paris pour son travail, travail qu’il laissa tomber peu de temps après pour se concentrer sur l’écriture.  Il écrivit d’ailleurs un roman en 1957 nommé Paris est une fête. Il y raconte ses premières années d’écrivain dans l’effervescence de Paris.  Dans son récit, il présente les différents personnages qui ont fait de la Lost Génération ce qu’elle est devenue. Il présente Gertrude Stein comme étant le mentor de ces écrivains pris dans la folie de Paris.

    Bien que Paris ait accueilli de nombreux écrivains, artistes et intellectuels en ses innombrables cafés, il faut comprendre comment cette révolution de culture a fait son entrée à Paris. La ville de Paris est-elle ce qu’elle est désormais grâce à cette migration d’idées et ces artistes qui créèrent un nid artistique en ses quartiers ? Ou bien est-ce Paris qui vint éveiller les esprits des jeunes artistes de la Lost Génération ?  Pour certains, ce fut le constant mouvement de la ville, les soirées sans lendemain chez Stein ainsi que les matins au bar La Closerie des Lilas  qui les inspirèrent. Comme Hemingway en parlait dans son livre, c’était cette vie de communauté ainsi que le mélange des idées qui poussèrent les jeunes artistes à créer. Leur travail était souvent révisé par les autres écrivains de la Lost Generation. C’était donc à Paris que Francis Scott Fitzgerald fit lire son livre Gatsby le Magnifique à son ami Ernest Hemingway sur la terrasse du bar La Closerie des Lilas.

     La présence des autres les poussa à créer, mais surtout à écrire sur leur pays d’origine et sur les changements qui se passaient aux États-Unis. Bien qu’ils s’inspirèrent énormément entre eux, Paris a été bouleversée par leur arrivée. Dans leurs bagages, les américains ont amené la musique, les acteurs, la folie hollywoodienne et bien d’autres. La France, dans la frénésie des années folles, s’éprit du jazz, cette musique au rythme appelant à la sensualité qui fit danser l’Europe. Elwyn Dirats et Jacques Auxenfant, deux étudiants français, créèrent le Hot Club de France en 1932. Le Hot Club de France fut la première association qui promouvait la musique jazz. Quelques années plus tôt, le spectacle Revue Nègre avait déjà pris place sur les scènes parisiennes, avec pour star du spectacle l’américaine Joséphine Baker, qui était une célèbre danseuse arrivée à Paris en 1918. Le spectacle Revue Nègre traitait de l’arrivée du jazz en Europe. On y dansa même à la manière des Américains en foulant le sol sur des pas de Charleston. Des deux côtés de l’océan, on vivait les années folles avec pour trames sonores Cole Porter et Louis Armstrong.

    Bien que Paris soit devenue une capitale artistique, beaucoup de ses adeptes repartirent en Amérique pour y diffuser leurs nouvelles connaissances. Une vague d’artistes émigrèrent aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale et contribuèrent à une révolution culturelle et artistique. C’est ainsi que le courant artistique de l’impressionnisme passa la frontière. On fit de grandes expositions à Boston et New York en l’honneur des peintres impressionnistes et plusieurs artistes américains se lièrent d’amitié avec les peintres français. La musique française fit aussi son arrivée aux États-Unis. En effet, c’est en 1956 qu’Édith Piaf obtint un succès au Carnegie Hall de New York. On y retrouva aussi beaucoup d’intellectuels européens dont André Breton, Claude Lévi-Strauss, Boris Souvarine, Jacques Maritain, Jules Romains, Saint-Exupéry et bien d’autres. Ce deuxième exil projeta New York au rang de capitale artistique.

    Deux villes lumières furent propulsées au rang de capitale artistique grâce à l’exil des esprits artistiques et intellectuels. Ils allèrent puiser leur inspiration à des kilomètres de leur terre natale et devinrent des piliers artistiques de leur génération. En conclusion, comme a écrit Ernest Hemingway dans son livre Paris est une fête : «Découvrir tout ce monde nouveau d'écrivains, et avoir du temps pour lire, dans une ville comme Paris où l'on pouvait bien vivre et bien travailler, même si l'on était pauvre, c'était comme si l'on vous avait fait don d'un trésor ! »


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