• Autoportraits en soldats

    Par Julie Duhamel

    En temps de guerre, le terme «liberté d’expression» n’existe plus et souvent, les artistes doivent arrêter de créer pour leur sécurité. C’est ce qui est arrivé, pendant la Deuxième Guerre mondiale, aux peintres allemands Otto Dix et Max Beckmann. Ceux-ci ont dû s’exiler face aux menaces d’Hitler et à son discours sur l’art dégénéré.

    Nés en 1884 et 1891, Max Beckmann et Otto Dix ont connu les pires moments de l’histoire; la Première Guerre mondiale, la montée du nazisme, la Deuxième Guerre mondiale et la guerre froide. Leur façon de peindre et leur vision du monde ont complètement changé avec ces évènements. Pour Beckmann, cette métamorphose artistique commence avec la Grande Guerre de 1914 à 1918. Il est choqué à la vue des blessés à l’hôpital et des cadavres sur le sol. Il dessine tout ce qu’il voit afin de rendre ces images éternelles. Pour lui, c’est essentiel, car «dessiner [le] protège de la mort et de la destruction .» Max Beckmann considère ce conflit mondial comme un «miracle» pour son art, car en seulement quelques mois, il a acquis l’expérience d’une vie entière. À cause de ce bouleversement, il a cessé de peindre comme Goya, Géricault et Delacroix. Il arrête la peinture narrative traditionnelle. Pour Otto Dix, la transformation de son art commence un peu plus tard, soit lors de la Première Guerre mondiale, tandis qu’il s'engage dans l’armée comme volontaire. Lui aussi a dessiné ce qui l’entourait. Dans chacun de ses tableaux, on voit la guerre et les champs de batailles d’une façon qui tend à démontrer à quel point il en est encore traumatisé.

     

    L’expressionnisme

    Les deux peintres sont associés à l’expressionnisme, un mouvement artistique du 20e siècle qui a touché la peinture, la littérature et le cinéma. Beckmann et Dix utilisent une certaine subjectivité qui déforme la réalité pour provoquer une forte réaction émotionnelle chez le spectateur. Dans leurs toiles à propos de la guerre, ils expriment une vision pessimiste de la société. Les scènes avec des cadavres et des corps déchiquetés symbolisent l’absence d’espoir. Par exemple, la toile Assaut sous les gaz de Dix décrit son effroi face à la Première Guerre mondiale. Avec leurs toiles, Beckmann et Dix se révoltent contre l’académisme et la mentalité de la société.

     

    L’arrivée du nazisme

    En  1933, Adolf Hitler prononce un discours sur l’art dégénéré. Les tableaux dérangent de par leur grand réalisme et confrontent ainsi les spectateurs à la vérité. Les tableaux d’Otto Dix, de Beckmann et d’autres peintres font partie de l’exposition sur l’art interdit que le régime nazi organise en 1937. Ils veulent ridiculiser les avant-gardistes et montrer au public ce qui va à l’encontre de l’idéologie du parti. Hitler congédie certains directeurs de musées et plusieurs professeurs d’art dont Beckmann et Dix. Toute forme d’art critique à l’égard du parti est interdite. Des milliers de livres sont brûlés dans les places publiques sur des bûchers. En tout, deux cent soixante œuvres d’Otto Dix sont retirées des musées et une partie est détruite pendant la guerre.

     

    L’exil forcé 

    Après l’exposition sur l’art dégénéré, Beckmann décide de quitter l’Allemagne  avant qu’il ne soit trop tard. Il se réfugie en Hollande, mais il y vit misérablement  puisqu’il n’est pas connu là-bas. La première toile qu’il peint en Hollande est un autoportrait intitulé Le Libéré . En fait, en choisissant ce titre, le peintre est ironique, car il se sent plutôt emprisonné. Dans son tableau, Beckmann se peint avec une serrure à la main et des barreaux derrière lui. Il ne considère pas son exil comme une libération, mais comme un isolement et une prison. Pendant ses dix années d’exil, les plus difficiles de sa vie, il peint deux cents autoportraits où il fait une impitoyable introspection de lui-même. Finalement, à l’âge de 63 ans, il obtient son visa pour aller aux États-Unis. Il apprécie l’ambiance de l’endroit et y découvre beaucoup de dynamisme. Cette arrivée en Amérique change encore une fois sa peinture. Les tableaux de Beckmann ont désormais des couleurs plus variées et éclatantes.

     

    Le parcours d’Otto Dix est assez différent. Après avoir été menacé par le parti nazi, il part, en 1936, au sud-ouest de l’Allemagne à la frontière du pays, près du lac Constance. Il arrête de peindre des personnages et se concentre sur les paysages, ce qui est toujours autorisé par le régime nazi. Il fut, malgré tout, capable de rester en Allemagne, car pour lui, il était hors de question d’aller aux États-Unis. «J'ai peint des paysages, a-t-il dit dans une entrevue des années 60. C'était bien une émigration... » 

     

    L’histoire d’Otto Dix et celle de Max Beckmann sont semblables. Ces deux peintres allemands, dont les œuvres font partie du courant de l’expressionnisme, ont vécu à la même époque. Pourtant, leurs réactions face à la montée du nazisme ont été totalement différentes. Au lieu de quitter son pays, Otto Dix s’est plié aux règlements et à l’idéologie du régime politique. Il a renoncé à critiquer et à revendiquer, il a choisi d’adapter ses peintures. Pour ce qui est de Beckmann, il voulait conserver une certaine liberté de création, mais il a dû tout quitter et faire des sacrifices pour l’obtenir. Leur exil forcé a changé leur art et modifié le cours de leur carrière.


     


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