• Trésarts en terre étrangère

    Par Félix-Antoine Dumais

     

    Les historiens de l'art le savent bien, de nombreux trésors artistiques se sont déplacés au cours des derniers millénaires. Leur réapparition a d'ailleurs amené plusieurs changements par rapport à la façon de percevoir l'art. Tout en se déplaçant, les œuvres ont inspiré un grand nombre d'artistes et elles sont maintenant réclamées par d'autres pays selon le principe du droit d'auteur.

    À travers l'histoire connue, de l'Antiquité à aujourd'hui, de nombreux monuments ou trésors artistiques se sont déplacés d'une civilisation à une autre parmi les guerres, les pillages et les fouilles archéologiques. D'une part, ces mouvements ont soulevé, au fil des siècles, la question du rapatriement du patrimoine artistique. De l'autre, il est possible de constater l'influence de l'endroit où se trouvèrent certaines de ces œuvres, d'après le travail de plusieurs artistes.

     

    Le rapatriement

     

    En 1945, l'UNESCO fut créée sous la direction des Nations Unies. Un des principes énoncés par cette organisation stipulait que toute œuvre déplacée durant une guerre ou une occupation militaire devait être restituée ou restaurée au propriétaire original. Il en résulta également que plusieurs pays qui n'étaient pas concernés utilisèrent cette politique pour justifier le rapatriement de certains trésors acquis durant les occupations coloniales.

    Il s'ensuivit rapidement que nombre d'œuvres antiques qui avaient été déplacées furent également réclamées. La Grèce et l'Égypte sont deux excellents exemples de civilisations qui désirent le retour de leurs trésors artistiques. Parmi les trésors les plus célèbres rappelés à leur pays, on compte la pierre de Rosette, conservée au British Museum de Londres et réclamée par le Caire, le buste de Néfertiti qui est présentement au Neues Museum de Berlin, également exigé par l'Égypte et même des pièces de reliefs en marbre découpées du Parthénon,  conservées elles aussi au British Museum et réclamées par la Grèce.

    Chaque restitution est étudiée et débattue longuement, mais les musées semblent toujours avoir une bonne raison de refuser le retour d'une œuvre. L'argument le plus commun est que les pays réclamants n'ont pas de bâtiments ou de personnel suffisamment qualifiés pour assurer la conservation et la protection des pièces. D'autres affirment tout simplement qu'ils ont acheté ces trésors en toute légalité et ne se voient pas dans l'obligation de les retourner. Finalement, certains affirment que cela créerait un précédent et qu'ils devraient ultimement se déposséder de toutes leurs œuvres.

     

    Les mouvements historiques

     

    Il y a environ 2000 ans, c'était les Romains qui conquéraient et ramassaient les butins de guerre des autres civilisations. Les nombreux pèlerinages du Moyen Âge ont aussi déplacé plusieurs reliques. La Renaissance amène avec elle un intérêt nouveau de l'Europe pour le Moyen-Orient. De nombreux explorateurs aux histoires romanesques ont ramené des trésors chez eux sous une forme de légalité douteuse. Puis, vint Napoléon Bonaparte et ses campagnes de conquête.

    Aucune loi véritable concernant la propriété des œuvres découvertes n’existait alors. C'est en 1945 que le gouvernement français semble prendre conscience que ces pratiques doivent être encadrées. On instaure donc une loi qui stipule qu'une autorisation doit être obtenue des deux pays pour procéder aux recherches. En revanche, si l'autre pays refuse une requête considérée d'utilité publique, la France a le droit de procéder sans cet accord. Si l'œuvre est trouvée par hasard, elle doit être déclarée immédiatement et le propriétaire de l'emplacement de la découverte conserve la pièce. Par contre, la France se garde le droit de fouiller tout site ayant déjà été exploité. Ces lois ont changé avec le temps, mais encore aujourd'hui, elles sont à la base des politiques entourant l'archéologie.

    Le collectionnisme à travers l'histoire est issu d’un comportement humain des plus communs. De nombreuses raisons ont motivé la prise de possession des œuvres d'autrui, mais il est intéressant de constater les répercussions que ces déplacements historiques ont eues sur le monde de l'art. La plus évidente est l'élargissement de la tribune des œuvres des autres civilisations. Si les historiens de l'art sont capables de fournir autant d'informations sur des pièces créées il y a plus de deux millénaires, c'est en bonne partie grâce à ces hommes qui ont désiré posséder ces trésors. Le simple fait d'avoir résidé dans un musée étranger a peut-être sauvé ces œuvres de l'usure et de la destruction. Mais les temps ont changé et aujourd'hui, les descendants des créateurs réclament «leurs» créations.

     

    L'inspiration

     

    La découverte de l'art étranger a donc également inspiré plusieurs artistes à travers l'histoire. La période de la Renaissance est un excellent exemple de l'influence exercée par l'art d'un pays à l'autre. Les œuvres de l'Antiquité gréco-romaine ont été un phare guidant une grande partie des réalisations artistiques du XVe et XVIe siècle. C'est éventuellement cette vision très perfectionniste et académique de l'art qui mènera, de fil en aiguille, jusqu'à l'art contemporain. Indirectement, des artistes comme Marcel Duchamp furent influencés par l'art de l'Antiquité.

    L'art égyptien a également eu beaucoup de répercussions sur la créativité d'artistes célèbres. L'exposition Gauguin à Tahiti, en 2003, a permis à certains experts d'établir que Gauguin avait clairement utilisé une peinture égyptienne de la XVIIIe dynastie exposée au British Museum comme modèle pour réaliser la toile intitulée Le Marché. Ces peintures présentent toutes deux cinq femmes sur un banc. Certains artistes s'inspirèrent de cette œuvre et l'influence de l'Égypte vécut longtemps au travers de ces descendances indirectes.

     

    Aujourd'hui

     

    De nos jours, l'art grec, romain et égyptien font partie d'un patrimoine historique mondial selon les grands musées qui possèdent ces trésors. Tous les conservateurs de musées s'entendent pour dire que s'ils n'ont plus ces œuvres à montrer au grand public, ils perdraient une grande partie de leur collection et dans certains cas, la collection complète. L'argument semble se tenir, mais dans la plupart des cas répertoriés, les pays réclamants ne désirent qu'une seule ou quelques œuvres bien précises et non pas tout ce que les musées possèdent et qui devraient leur revenir.

    Le fait est que bien des siècles ont passé depuis ces déplacements. Bien sûr, il semble évident qu'un sarcophage provienne d'une pyramide et donc de l'Égypte, mais à travers le temps, nombre de copies ont été conçues et les pays ont bien changé. Il semble pratiquement impossible de trouver des preuves tangibles de l'origine de chacune de ces œuvres perdues à l'étranger. La possession reste donc celle du vainqueur et ces objets acquièrent le statut de patrimoine mondial pour consoler les vaincus. Toutefois, les débats continuent de faire rage.


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