• Errance du Pacifique

    Par Félix-Antoine Dumais

     

    Charles est assis sur une grosse pierre plate et rose au sommet d'un pic. Depuis cet endroit, il peut observer toute l'île déserte. La jungle s'étend à la base du versant le plus abrupte, puis coupe net pour laisser place à une plage de sable blanc qui se perd progressivement dans un océan turquoise. Là-bas, son voilier repose, solitaire... Le tout sur un magnifique ciel de fin d'après-midi, bleu et sans le moindre nuages. Les rayons du soleil inondent ce corps qui leur fait face.

    La pierre est stratifiée, des couches de rose, d'ocre, de gris clair et d'orangé se superposent en séries répétitives. Chaque couche est inégale, cela donne un aspect vibrant à la falaise vue de loin et la rend praticable à mains nues pour un escaladeur expérimenté. Il sait que descendre une paroi à pic est bien plus difficile que de la monter, le corps humain est mieux conçu pour grimper que pour dégringoler.

    Parfois, il prend une pause, le temps de s'apercevoir que le soleil semble le suivre alors que la lumière dans laquelle il baigne vire paisiblement du blanc vif au doré tandis que le soir approche. C'est lorsqu'il croit ne plus être capable de tenir le coup qu'il aperçoit une liane de la largeur d'un poignet qui paresse sur la pierre à côté de son pied. Il descend encore quelques mètres et saisit l'une des plantes semblables à des vers. Il tire dessus pour voir si elle résiste et c'est le cas, puis il la passe entre ses jambes et par-dessus son épaule. Tout en tenant la liane vers le bas d'une main, il tend la plante autant que possible et se laisse tomber à travers le plancher de larges feuilles d'un vert vif et assombri.

    Peu importe où se pose le regard, tout est vert. Des teintes d'olive, de chaire de kiwi, de gazon et de pin colorent un enchevêtrement de lignes verticales formées par les troncs et les lianes ainsi que de la mousse qui pend en guirlandes grotesques. Le tout a un aspect très sauvage. Plusieurs minutes de marche permettent à Charles d'atteindre la partie plus clairsemée de cette jungle qui devient un boisé. Le sable blanc commence à se deviner à travers les arbres et des fleurs d'un jaune, orange, rouge et rose vifs et éclatants fascinent le regard telles des constellations multicolores. Au travers des végétaux, apparait bientôt le ciel de début de soirée avec cette lumière orangée si mystérieuse. Lorsqu'il peut apercevoir derrière lui la dernière rangée d'arbres et devant lui, le soleil qui s'apprête à tremper dans l'eau, il avance de quelques pas maladroits.

     

     

    De son col, il sort une petite médaille dorée accrochée à son cou qu'il déplie. Il observe longuement la photo d'une femme également à l'approche de la trentaine et d'une petite fille d'un très jeune âge, une enfant à peine sortie de la maternelle. Les yeux de Charles s'inondent alors de larmes.

     -  Tu aurais aimé, ma belle. Toi aussi, ma chouette. Les couleurs, le soleil, immense sphère de flammes qui aspire tout le feu du jour pour laisser place au sombre manteau de la nuit.

    Il marque une pause tout en refermant le collier comme on referme le couvercle d'un cercueil.

     -  C'était notre rêve de partir découvrir ce qui n'existent sur aucune carte. L'attente qu'Ariel soit plus vieille, qu'elle ait l'âge de se débrouiller pour nous suivre ou vivre sa vie...

    Ses pleurs reprennent de plus bel. Il se calme au bout d'un moment et se dirige vers son voilier. Il sort de la cabine avec une boîte contenant deux urnes dans les bras.

     -  Ce chauffard ivre... La colère et le désespoir ne vous ramèneront pas, je préfère vous dire au revoir... Je préfère vous dire à bientôt. Pour le moment, je suis vide et las. J'ai besoin d'être seul, j'ai besoin de faire ce voyage juste pour voir où il me mènera.

    Il ouvre les récipients et lance cérémonieusement les cendres au vent. Une bonne partie tombe éparse sur les vaguelettes berçant le bateau, mais un nuage s'envole et plane au-dessus de l'eau un long moment. Un sourire forcé se dessine sur son visage et s'essuyant les yeux une dernière fois, il démarre le moteur du voilier.

    Charles a laissé derrière lui les corps de ses bien-aimées, mais il sait que désormais il doit vivre pour eux trois. Les suivre n'est pas une option bien qu'elle le tente parfois. En attendant, il le sait, il a besoin de cette errance. Ce vide ressenti ne peut être comblé sans l'entreprendre. Peut-être, un de ces jours, son cœur saura oublier cette peine qui l'alourdit et alors peut-être reposera-t-il le pied sur la terre du continent.


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